A part pour les rares puristes pour lesquels l’Émeraude est aussi indissociablement liée au Potez 4E20 que Milou à Tintin,


Il y a ceux qui choisissent, en fonction des opportunités (et du remplissage de leur porte-monnaie) parmi les moteurs d’avions, neufs ou d’occasion… Et à moins de faire un choix complètement déraisonnable, la réunion de la cellule et du moteur donne généralement un avion satisfaisant.

Il y a aussi ceux qui se lancent dans l’avionnage d’un moteur d’automobile… avec plus ou moins de succès.
Mais outre le fait que la définition du moteur idéal dépend de chacun, la plupart des déboires rencontrés par les avionneurs de moteurs non aéronautiques vient de la méconnaissance de ce qu’est un moteur d’avion et des ses caractéristiques. Or plus les caractéristiques du moteur non aéronautique choisi sont éloignées de celles d’un moteur d’avion, plus il sera difficile de l’adapter valablement à la propulsion d’une cellule.
Comme je l’avais dit dans un précédent post, avionner un moteur non-aéronautique dans l’absolu n’a aucun sens, dans la mesure où certains choix techniques dépendent des caractéristiques de l’avion…
Alors supposons pour l’exercice que nous disposons d’une cellule très classique, au hasard celle d’une Émeraude.

Il serait bon que la masse du moteur ne dépasse pas trop 100 kg pour une puissance nécessaire connue : 100 HP ou un peu plus. Pour la suite du raisonnement, et pour avoir un nombre rond en unités métriques, nous prendrons 80 kW (soit 107,25 HP environ) et si on dimensionne l’hélice pour la croisière rapide à 75% (60 kW, donc) à un peu plus de 200 km/h, sans sacrifier les performances de décollage, le diamètre optimal est autour de 1,87m. Ce diamètre confronté aux exigences de rendement et de bruit nous amène à une vitesse de rotation de l’arbre hélice de l’ordre de 2400 t/min… Pour la suite du calcul, nous arrondirons cette valeur à 250 rd/s (2387 t/min)
A ce stade, près de la moitié des moteurs de voiture équipés d’un réducteur adéquat semblent convenir…

Pour préciser le choix, il nous faudrait déterminer quelles sont vraiment les caractéristiques d’un moteur d’avion ? Quels son les paramètres incontournables ? Et quels sont ceux dont l’importance est mineure ?

Pour essayer de le comprendre je vous propose de concevoir (dans les grandes lignes, rassurez-vous) le moteur dont nous avons besoin à partir de la page blanche…
1/ Si nous visons un moteur à 4 temps atmosphérique à essence, la pression moyenne effective maximale (PME) sera de l’ordre de 1,1 Méga Pascal (MPa). Avec un turbocompresseur, on pourrait atteindre et même dépasser 1,5 MPa, mais une valeur aussi élevée impliquerait une réduction notable de la fiabilité et de la durée de vie. En aéronautique, le turbocompresseur sert moins à augmenter la pression moyenne effective pour augmenter la puissance à basse altitude qu’à maintenir la puissance à haute altitude (on dit que ces moteurs sont « turbonormalisés »). Or contrairement aux drones de surveillance militaires qui croisent discrètement à très haute altitude, les avions légers interdits à partir du niveau 200, et qui dépassent rarement le niveau 100, ne nécessitent pas ce maintien de puissance en altitude. Pour l’exercice, nous pouvons fixer la PME à 1,1 MPa.
2/ Afin que le rendement du moteur soit bon, il faut que la puissance de croisière soit développée à une vitesse de rotation proche de celle où se trouve le couple maximum, soit 250 rd/s ramenés à l’arbre de l’hélice. Pourtant, la puissance de croisière ne doit pas correspondre au couple maximum. En effet, cela impliquerait des contraintes élevées sur le vilebrequin, et ne laisserait pas assez de marge de puissance pour que la pleine puissance puisse être obtenue au point fixe avec une hélice à pas fixe. Pour la suite, on gardera une marge de 20% entre la puissance pleins gaz au couple maximal et la puissance de croisière rapide (60 kW dans notre cas), ce qui revient à faire le calcul de la cylindrée avec une PME réduite de 20%, soit 0,9MPa.
(Remarque : On pourrait prendre 25% de marge au lieu de 20% pour coller aux 75% habituels de la croisière rapide des moteurs d’avion, mais on supposera ici que la puissance maximale est développée à un régime légèrement plus élevé – vers 270 rd/s – et à un couple un peu plus faible que le couple maximum du moteur. En tout état de cause, cette différence de marge entrainerait un écart très faible des paramètres calculés ci-dessous.)
3/ Ramenée à l’arbre hélice, la puissance de croisière correspond à un couple de :
60.000 watts / 250 rd/s = 240 Nm
La pression moyenne effective pratique étant de 0,9 MPa, cela permet de calculer directement la cylindrée d’un moteur en prise directe :
240 Nm x 4 x Pi / 0,9 MPa = 3351 cm3
On peut remarquer que notre calcul simpliste nous donne un résultat très proche de la cylindrée du mythique Potez 4E20 de 105 CV : 3420 cm3
En présence d’un réducteur, et en négligeant les pertes de celui-ci (1% environ), il suffit de diviser cette valeur par le rapport de réduction. Par exemple, avec un réducteur de rapport 2,43 : 1 (rapport du réducteur du Rotax 912), la cylindrée nécessaire serait divisée par 2,43 soit 1379 cm3.
Là encore, on peut remarquer qu’on ne tombe pas très loin des 1352 cm3 du Rotax 912 S de 100 HP…
Mais dans ce cas, la vitesse de rotation varierait en rapport inverse, soit 250/2,43 = 607,5 rd/s (5801 t/min – pour mémoire, le régime de rotation du Rotax 912 S est de 5800 t/min).
4/ Alors doit-on prévoir un réducteur ou pas ?
La réponse à cette question dépend de plusieurs paramètres, parmi lesquels la difficulté ou non de réaliser un réducteur et l’intérêt d’un tel réducteur…
Supposons dans un premier temps que nous ne sachions pas en faire un, ou bien que nous ne soyons pas assez sûr de la fiabilité de celui que nous pourrions faire : Nous voici donc avec un moteur de 3351 cm3 tournant en croisière à 250 rd/s… Combien de cylindres ? Quelle disposition ? Quel alésage ? Quelle course ?
A priori, nous cherchons à faire un moteur fiable et durable (2000 heures de potentiel minimum) et un des paramètres les plus importants pour la fiabilité et la durée de vie (potentiel) d’un moteur est la vitesse moyenne des pistons (VMP). En rognant sur la durée de vie et/ou en utilisant des matériaux de très haute qualité, on peut atteindre 12 m/s, mais une limite raisonnable est 10 m/s.
La course du piston se déduit directement de sa vitesse moyenne limite et du régime de rotation :
Course (mm) = 30.000 x VMP (m/s) / Régime (t/min)
Dans notre cas, 30.000 x 10 / 2400 = 125 mm
Ce qui donne automatiquement la surface totale des pistons : 3351 cm3 / 12,5 cm = 268 cm²
Bien entendu, il serait complètement aberrant de faire un monocylindre d’alésage 185 mm !
Même s’il serait réalisable en deux cylindres opposés d’alésage 131 mm, un bicylindre aurait un couple beaucoup trop irrégulier pour être confortable. Cependant, on peut remarquer d’un moteur deux fois plus puissant à quatre cylindres serait parfaitement réalisable : il ne serait d’ailleurs pas très différent du Lycoming O-390 d’alésage 135mm pour une course de 111mm et qui développe 210 HP.

Un tricylindre d’alésage 107 mm serait parfaitement réalisable. La disposition en ligne permettrait de faire un moteur très compact. La disposition en étoile serait également possible grâce au rapport alésage/course qui ne serait plus que de 0,85.
Mais il est clair qu’une version à quatre cylindres d’alésage 92,5mm ne serait pas efficace car le rapport alésage/course de 0,74 est beaucoup trop faible.
La solution la plus évidente consiste à augmenter l’alésage et à réduire la course afin de revenir à un rapport légèrement supérieur à 1, et de faire baisser la vitesse moyenne des pistons, ce qui augmenterait la durée de vie du moteur : Un alésage de 105mm et une course de 97mm, ou bien un alésage de 110mm et une course de 89mm seraient des choix parfaitement valables pour un quatre cylindres.
Pour mémoire le Potez 4E20 a un alésage de 110mm et une course de 90mm.

Il apparait donc que si on veut aujourd’hui faire un moteur d’avion sans réducteur pour motoriser une Émeraude, on arrive naturellement à une solution similaire aux moteurs existants (Continental O-200, Potez 4E20 ou Lycoming O-235) ou bien similaire à des moteurs encore plus anciens (tricylindre en étoile, comme le Anzani qui propulsait le Blériot qui a traversé la Manche)…

Une voie de progrès est donc le réducteur… Dont l’impact sur le moteur fait apparaitre un invariant intéressant :
A vitesse de rotation de l’hélice inchangée, la vitesse du vilebrequin est proportionnelle au rapport de réduction. La vitesse moyenne des pistons étant inchangée, leur course est donc inversement proportionnelle au rapport de réduction.
D’autre part la cylindrée est également inversement proportionnelle au rapport de réduction.
Donc la surface totale des pistons qui est le rapport cylindrée/course est indépendant du rapport de réduction !
Dans notre cas, il est toujours égal à 268 cm²…
Cette surface correspond à : Un piston d’alésage 185mm, deux pistons d’alésage 131mm, etc. et en conservant un rapport alésage/course constant de 1,1, on peut en déduire la cylindrée qui en résulte et le rapport de réduction qu’il faut appliquer.
(Voir premier tableau )
L’hypothèse du rapport alésage/course est valable pour un moteur en ligne, à plat ou en V, mais pas pour un moteur en étoile pour lesquels il doit pour des raisons constructives, être un peu inférieur à 1. C’est pourquoi le tableau ne comporte pas les moteurs à nombre impair (5, 7 et 9 cylindres) qui correspondent à disposition étoile.
La solution du moteur monocylindre de quatre litre et demi de cylindrée tournant à 1800 t/min avec un multiplicateur est évidemment absurde. (A moins de vouloir faire un vrai avion qui soit une maquette fidèle à l’échelle 4 ou 5 d’un « modèle réduit… »)
Un tricylindre en ligne serait faisable, mais comme le rapport de réduction est faible, il serait certainement plus efficace de recalculer le moteur pour l’utiliser en prise directe. Dans le commerce, seul le moteur à trois cylindres en ligne de la moto Triumph de 2300 cm3 se rapproche de cette disposition. Mais il manque 10 à 15% de la cylindrée… On peut donc en déduire qu’une utilisation en prise directe (plus simple) à une puissance inférieure (autour de 80 HP) et avec une hélice de diamètre un peu plus faible, pourrait se révéler intéressante…
En quatre cylindres, on voit donc qu’un moteur de voiture autour de 2200 à 2300 cm3 de cylindrée tournant à 3600 t/min avec un rapport de réduction de 1,5 :1 serait un choix parfaitement judicieux… Les moteurs de voiture correspondant à cette définition ont une puissance nominale notablement plus élevée, mais à régime de rotation également plus élevé. Le tableau nous incite donc à détarer les moteurs de voitures correspondants d’au moins 40%. C’est frustrant et catastrophique pour la puissance massique du groupe motopropulseur qui en résulte, mais c’est le prix à payer pour la fiabilité et la durabilité. C’est aussi ce qui peut permettre un refroidissement correct du moteur dont la partie interne du circuit de refroidissement n’est pas prévu pour une fonctionnement continu à puissance élevée.
Un six cylindres à plat de 1800 cm3 (le moteur de la moto Honda GoldWing, par exemple) avec un réducteur de rapport 1,85 :1 serait également un choix judicieux. Dans ce cas, la puissance maximale et le régime de rotation 4440 t/min se rapprochent des valeurs du constructeur, mais sans dépasser des valeurs raisonnables et à condition de soigner le circuit de refroidissement, la fiabilité devrait également être au rendez-vous. Contrairement au cas du moteur à 4 cylindres, un 6 cylindres répartit la contrainte motrice sur plus de temps moteur par tour, mais surtout, il est naturellement équilibré en inertie pour les parties mobiles. Les contraintes sur le réducteur devraient s’en trouver notablement réduite.
Je ne connais pas de V8 automobile couramment disponible autour de 1600 cm3.
Et si nous refaisions l’exercice pour un moteur plus puissant, adapté à un Super Diamant par exemple ?
Cette fois, le moteur aura une puissance nominale de 110 kW (environ 150 HP) à la même vitesse de rotation de 250 rd/s.
Des calculs précédents, on peut garder la course maximale des pistons de 125 mm en prise directe, et la surface des pistons augmente en rapport de la puissance et devient 370 cm².
Les solutions à 1, 2 et 3 cylindres sont écartées d’emblée.
(Voir deuxième tableau)
La solution à 4 cylindres ne correspond à aucun moteur automobile disponible que je connaisse. On peut juste en déduire qu’une solution de cylindrée un peu supérieure en prise directe serait viable : Mais ne serions nous pas juste en train de réinventer le Lycoming O-290 ou O-320 ?…
La solution à 6 cylindres de 3 litres de cylindrée est plus intéressante car de tels moteurs ne sont pas rares en automobile : On trouve pas mal de V6, un 6 cylindres en ligne (BMW) qui est mieux équilibré, mais plus long… (A part pour un monoplace ou un biplace en tandem, ce n’est pas forcément très pratique.) Mais la vraie solution évidente est le 6 cylindre à plat et à refroidissement à air de la Porsche 911 ! Avec un réducteur de rapport 1,55 :1 ce serait sûrement une solution à la fois fiable et raisonnablement légère.
La solution à 8 cylindres est aussi prometteuse, même si les moteurs V8 de 2600 cm3 sont tout aussi absents des catalogues que les 1600 cm3. Mais, on pourrait envisager une très vieille technique aéronautique qui consiste à coupler plusieurs moteurs sur un même réducteur. En couplant deux moteurs à 4 cylindres à plat et à refroidissement par air de Citroën GSA (1300 cm3) sur le même réducteur de rapport 1,785 :1, on obtiendrait un moteur de 8 cylindres réducté à la fois raisonnablement léger et pour peu que le réducteur soit bien conçu (calage des moteurs avec un déphasage de 90°), avec une couple aussi régulier que celui d’un V8…
Conclusion
Pour ces deux exercices, le calcul permet de dégager des solutions bien différentes de celles qui nous viennent immédiatement à l’esprit si nous regardons directement les moteurs d’automobile, et en particulier leurs puissances « maximales ».
Le calcul nous amène à réduire considérablement la puissance au litre de cylindrée, ce qui se traduit par une réduction proportionnelle de la puissance massique. La motorisation basée sur un moteur d’automobile qui en résulte est le plus souvent au moins deux fois plus lourde qu’un moteur d’avion de puissance comparable.
Par contre, cette réduction de puissance est un gage de fiabilité et de durée de vie. En effet, utilisés à souvent à 100% et continument à 75% de leur puissance nominale, les moteurs d’automobile ne durent pas plus de quelques centaines d’heures (ce qui peut être acceptable pour un amateur) et leur fiabilité est réduite par des problèmes de refroidissement, dans la mesure où ils ne sont pas conçus pour supporter de telles contraintes plus de quelques dizaines de secondes.
Juste après la deuxième guerre mondiale, le moteur d’automobile 4 cylindres à plat de VW s’est révélé un excellent moteur d’avion… Mais quand on regarde ses caractéristiques, on découvre que, comme le moteur de la 2CV-ami6-ami8-visa qui lui est contemporain, ses caractéristiques principales étaient celles d’un moteur d’avion : 30 HP/ litre de cylindrée (un peu plus à haut régime, mais avec une hélice de diamètre réduit acceptable pour les faibles puissances développées), vitesse piston inférieure à 10 m/s, refroidissement par air, et cylindres opposés.
C’était à ce point un moteur d’avion qu’il était finalement un assez piètre moteur de voiture : consommation élevée à cause de son refroidissement mal régulé, et bruyant.
L’industrie automobile a fait d’énormes progrès pour adapter les moteurs à ses besoins…
Mais pour un avionnage, ces progrès sont d’abord une désadaptation aux besoins aéronautiques. Les tricylindres « downsizés » produits par Ford ou PSA sont incontestablement excellents en tant que moteurs de voiture, mais d’autant plus difficiles à avionner.
Qui accepterait de détarer un moteur Ford 1.0 Ecoboost de 3 cylindres au point de ne lui demander que 40 HP en continu ?
Pour cette puissance minime, sa masse serait prohibitive et ne ferait guère mieux qu’un vieux WW1200… Mais j'espère que ce post évitera à ceux qui auraient envisager d'utiliser ce genre de moteur pour entrainer une hélice sans un détarage considérable de s'exposer à de sévères déconvenues

Bons Vols
Philippe Dejean