De la puissance massique des avions...

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Philippe Dejean
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De la puissance massique des avions...

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Lors de la conception d’un avion léger et même pour n’importe quel aérodyne en général, la détermination de la puissance de la motorisation est un facteur déterminant.

Bien entendu, la puissance est déterminée en fonction de la mission de l’appareil lors d’un processus itératif qui est convergeant si la mission est possible avec les technologies envisagées. Mais avant de se lancer dans cette étude itérative, ou pour la commencer, il est bon d’avoir une valeur initiale raisonnable.

On comprend intuitivement que pour des missions comparables, des avions de masses différentes auront besoin de puissances différentes, et que le rapport de puissance/masse est à peu près constant. Ce rapport, la puissance massique, est l’image de la vitesse ascensionnelle de l’avion.

En effet, pour conserver son altitude, l’avion dépense de l’énergie pour compenser la trainée qui a tendance à le ralentir. Si le moteur ne lui fournit pas cette énergie, il entame d’abord son énergie cinétique (il ralentit), puis son énergie potentielle (il descend). Le moteur compense donc d’abord cette consommation d’énergie, mais il dispose en plus d’une puissance excédentaire qui va permettre à l’avion d’engranger soit de l’énergie cinétique (de voler plus vite) soit de l’énergie potentielle (de monter).

Si on considère une vitesse ascensionnelle minimale, on définit implicitement un excédent de puissance disponible du moteur par rapport à simple compensation de la trainée. Le calcul est très simple, puisqu’il suffit de multiplier la Vitesse ascensionnelle voulue, en m/s, par l’accélération de la pesanteur en m/s².

Supposons 1000 ft/min, soit 5 m/s : La puissance nécessaire par kg est de 5 (m/s) x 10 (m/s²) = 50 W/kg.

Ça peut sembler très peu, mais ce n’est qu’une valeur brute et partielle :

- Brute car c’est la puissance utile qu’on considère. Si le rendement de l’hélice est de 70% à la vitesse de montée, ce n’est pas 50 W/kg qu’il faut considérer, mais 70 W/kg ;

- Partielle car le moteur doit aussi compenser la traînée, à la vitesse de montée. Pour calculer la puissance nécessaire, la manière approchée la plus simple, consiste à mesurer la vitesse verticale dans un vol en plané (moteur transparent) à la vitesse de montée.

Supposons que notre avion ait un taux de chute de 3 m/s en vol plané à la vitesse de montée. Il suffit d’ajouter cette valeur au taux de montée voulu de 5 m/s, et de reprendre le calcul précédemment :

(3 + 5) (m/s) x 10 (m/s²) = 80 W/kg, valeur qu’il faut comme précédemment pondérer du rendement de l’hélice :

- 80% avec une hélice petit pas, ce qui donne 100 W/kg ;

- 70% avec une hélice grand pas, ce qui donne 115 W/kg.

Voici une explication simple de la valeur communément admise comme un minimum raisonnable pour les avions légers, mais également pour les modèles réduits d’avion.

Si on change un paramètre, le taux de chute à la vitesse de montée par exemple, la puissance de la motorisation change. Pour un motoplaneur dont la vitesse d’approche et de montée est faible, un taux de montée de 3 m/s seulement assure une pente de montée suffisante. D’autre part le taux de chute à la vitesse de montée étant de 1,2 m/s seulement, la valeur calculée est de :

(1,2 + 3) (m/s) x 10 (m/s²) = 42 W/kg, valeur qu’il faut comme précédemment pondérer du rendement de l’hélice, 70%, ce qui donne 42 / 70% = 60 W/kg

Dans le cas d’un monoplace de 350 kg, ça donne une puissance de 21 kW, soit environ 28 HP. Cela explique les bonnes performances du Fournier RF3 avec son moteur de 39 CV, et la bonne fiabilité de ce dernier. Si on calcule à l’inverse le taux de montée pratique du Fournier avec le moteur plein gaz, on obtient :

39 x 736 /350 = 82 W/kg

Avec un rendement hélice de 70% et un taux de chute de 1,5 m/s à la vitesse de montée :

82 x 70% /10 = 5,75 m/s

Valeur à laquelle on retranche le taux de chute : 5,75-1,5 = 4,25 m/s soit 850 ft/min.


Un autre calcul intéressant : Quel moteur pour des performances de montée accrues ?

Un Cessna 172 à la masse maximale de 1100 kg monte à 3,65 m/s avec un moteur de 150 HP.

Pour monter des parachutistes à l’altitude d’un saut, 3,65 m/s c’est très peu. Que pourrions-nous espérer en remplaçant le Lycoming O-320 par le Continental IO-360 avec une hélice à pas variable ?
Calculons d’abord les performances du C172 de 150 HP.

150 x 746 x 70% / (1100 x 10) = 7,12 m/s

Comme le taux de montée pratique est de 3,65 m/s, cela signifie que le taux de chute est de 3,47 m/s. Cette valeur est un peu élevée, mais s’explique facilement par la porte ouverte pour les parachutistes.

Calculons ensuite les performances avec le IO-360 avec une hélice à pas variable (rendement 80%).

210 x 746 x 80% / (1100 x 10) = 11,39 m/s

Retirons de cette valeur le taux de chute : 11,39 – 3,47 = 7,92 m/s

Pour monter de 3000 m, le C172 150 HP prendra 13 minutes et 42 secondes, alors que le C172 210 HP mettra 6 minutes et 19 secondes.

Le gain de temps est notable, mais contrairement à beaucoup de cas d’augmentation de puissance en aéronautique, il ne se paie pas par une augmentation de consommation de carburant, mais par une économie : 9,8 litres pour le C172 150 HP et 6,3 litres pour le C172 210 HP !

Poussons le raisonnement plus loin en montant le moteur du TBM850 sur notre petit Cessna 172 : 850 HP avec une hélice dont le rendement dans ces conditions est de 75%.

Le taux de montée calculé est finalement de 39,58 m/s, le temps pour monter à 3000 m de 1 minute et 16 secondes pour environ 7 litres de kérozène…

Mais ça veut dire quoi, monter à presque 40 m/s avec un C172 tubinisé ?

39,58 m/s, c’est 142,5 km/h, pratiquement la vitesse de montée du C172, ce qui revient à dire que là on monte littéralement à la verticale, pendu à l’hélice. Ça peut faire plaisir à ceux qui ont rêvé de devenir astronaute, mais il faudrait équiper le compartiment arrière pour les parachutistes.

Un autre problème est le renforcement de la cellule. Si passer de 150 à 210 HP n’en nécessite que relativement peu, ce n’est évidement pas le cas avec en passant de 150 à 850 HP, et même si c’était possible, la cellule serait forcément plus lourde.

Cessna a effectivement fabriqué une version de 172 avec un Continental IO-360 de 210 HP, c’est le C172 « Rocket » qui a des performances intéressantes en altitude et par temps chauds, grâce à ses 140 W/kg.

Les plus puissants des chasseurs de la deuxième guerre mondiale ne dépassaient pas 500 W/kg. Un avion aussi motorisé qu’un 172 avec 850 Hp (575 W/kg) n’a aucun sens avec ce genre de cellule , aussi renforcée soit-elle.


Avec des technologies totalement différentes, les intercepteurs des années 1970 dont les plus puissants affichaient des taux de montées de 250 m/s avaient donc une puissance utile de 2500 W/kg, ce qui, compte tenu du rendement propulsif assez médiocre autour de Mach 1 de leurs moteurs à simple flux et post-combustion taillés pour Mach 2,5 ou Mach 3, représentait une puissance brute bien supérieure (5000 W/kg, un peu plus, peut être ?)

De son côté, l’avion à propulsion humaine bat tous les records de sous-motorisation. Sur une période de quelques heures nécessaires pour couvrir la distance entre l’Asie-mineure et la Crête, comme pour le record établi, l’homme-moteur seul a une puissance massique de 3 W/kg. Même avec les techniques les plus légères pour la cellule, et une hélice optimisée, c’est environ 2 W/kg dont dispose l’avion entier !

L’avion à propulsion humaine à 2 W/kg et l’intercepteur à 5000 W/kg sont les deux extrêmes de la puissance massique en aéronautique. Notre modeste petite aviation légère est au plus loin possible de ces deux extrêmes qui par leur exagération coûtent forcément cher, exactement au milieu sur une échelle logarithmique à 100 W/kg.


Bons Vols

Philippe Dejean
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Richard78
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Re: De la puissance massique des avions...

Message par Richard78 »

Jolie leçon.
En transformant les m/s en pieds/mn on arrive à des chiffres étourdissants, bien loin des 1000 ft/mn de nos trapanelles !!
Les avions utilisés à Reno et poussés à plus de 3000 ch doivent pouvoir monter accrochés à l'hélice.

Merci pour ces précisions
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Philippe Dejean
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Re: De la puissance massique des avions...

Message par Philippe Dejean »

Bonjour Richard,

Ta remarque sur les Racers "unlimited" de Reno, qu'on pourrait croire capables de performances d'intercepteur, montre bien qu'il faut faire le calcul :

3000 à 3500 HP pour à peu près autant de kg, et un rendement hélice de 80%, ça donnerait dans les 12.200 ft/min, soit 220 km/h de montée verticale...

C'est beaucoup moins rapide que la vitesse de croisière de design des chasseurs originaux, autant dire que l'adaptation hélice est médiocre et que les 80% sont plutôt optimistes : 200 km/h de montée à la verticale est peut-être déjà optimiste.

Pour "bien" monter à la verticale, il faudrait plus de puissance sans augmenter la masse et une surface hélice plus importante...
Je proposerai donc de remplacer le moteur à piston par la turbine Kuznetzof de 6500 HP du TU95 et son hélice contrarotative :
Entre le gain de masse du moteur, l'augmentation de puissance et l'amélioration du rendement propulsif, les 500 km/h de vitesse de montée à la verticale doivent être atteignables (d'autant qu'il n'y a plus de couple hélice et qu'on peut donc faire une cellule minimale plus légère que celle d'un Warbird!)

Sinon, on pourrait prendre une cellule bimoteur (P38?) avec deux GMP Kuznetzof...
Et si ça ne suffit pas, on peut encore doubler la puissance avec des GMP d'Airbus A400M, mais là on va commencer à tutoyer les problèmes de compressibilité... (Transsonique) qui ne font pas trop bon ménage avec les hélices !

Après, reste à trouver l'astronaute capable de piloter un tel engin :alien:
Antoine de Saint Exupéry a dit, au sujet des chasseurs de la seconde guerre mondiale : "Mettre une hélice sur un caillou, ce n'est plus de l'aviation ! "

Bons Vols

Philippe Dejean
(qui aime beaucoup les 1000 ft/min... ça laisse le temps de vérifier l'altitude plafond de la zone.)
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Philippe Dejean
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Re: De la puissance massique des avions...

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Dans le précédent post, vous aurez sûrement remarqué que je me suis allègrement mélangé les crayons au sujet des turbomoteurs russes.

1/ Le GMP Kuznetzof 12-M a bien des hélices contrarotatives. Il a bien propulsé le Tupolev 95 et son dérivé civil, le Tupolev 114, et l'Orlyonok à effet de sol... Plus récemment l'Antonov 22.

Mais sa puissance n'a rien à voir avec les 6500 HP (4850 kW) que j’avais annoncés : Suivant les versions il varie de 12.000 HP à 14.800 HP avec un diamètre d'hélice de 5,60 m... et même 15.000 HP - Kuznetzof 12-MA avec un diamètre d'hélice de 6,20m pour l'An22 qui est plus lent !
Les 11.000 HP du moteur de l'A400M sont loin derrière - sans compter que sans hélices contrarotatives, le couple moteur serait quelque peu problématique !
Sa masse à sec (sans hélice) n'est que de 1155 kg.

2/ Il existe bien un turbomoteur d'hélicoptère de 6.500 HP
C'est le Soloviev D-25 qui équipe entre autres, les Mil-Mi-6, Mil-Mi-10 et Mil-Mi-12 (quadrimoteur birotor qui embarque ou soulève à l'élingue 40 Tonnes). Le moteur pèse 1325 kg à sec sans la boite de transmission primaire.

Donc, un monoplace ressemblant à un warbird équipé d'un Kuznetzof 12-M serait parfaitement adapté pour monter à la verticale... Il y a certainement un record de vitesse ascensionnelle pour avion à hélice à pulvériser avec une machine de ce genre !
L'empennage de l'Orlyonok donne une petite idée de l’allure que pourrait avoir cet appareil.

Bons Vols

Philippe Dejean
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Philippe Dejean
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Re: De la puissance massique des avions...

Message par Philippe Dejean »

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