L'Oncle du CP20

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Philippe Dejean
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L'Oncle du CP20

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

En dessinant son CP 20, Claude Piel s’est volontairement inspiré du Spitfire.

Même si avec les 25 CV de son moteur VW, le CP20 était très loin des performances de son modèle de référence dont la puissance était de 50 à 80 fois supérieure, la filiation est directe.

Mais si le Spitfire était un avion original en avance sur son époque, il n’était tout de même pas issu de rien. Certains avions antérieurs avaient des caractéristiques qui furent reprises ou du moins inspirèrent largement son créateur RJ Mitchell.
En effet, après avoir vu voler un He 70G équipé du moteur Rolls Royce Kestrel, notablement plus puissant que le DB-601 qui l’équipait en série, RJ Mitchell envoya d'une lettre à Ernst Heinkel, dont est tiré l’extrait suivant :

« Nous, chez Supermarine Aviation, avons été particulièrement impressionnés, car nous avons été incapables d'atteindre ces lignes douces pour les avion que nous avons présenté à la coupe Schneider… De plus, nous avons récemment étudié l'effet que l'installation de certains nouveaux moteurs chasse britannique aurait sur le He 70, nous avons été consternés de constater que votre nouvel appareil, malgré ses dimensions plus grandes, est sensiblement plus rapide que nos chasseurs. C'est en effet un triomphe. »

Cela ne signifie pas que l’aile elliptique du Spitfire ait été copiée sur celle du He 70. L'aile elliptique avait été utilisée sur d'autres avions et ses avantages étaient bien connus. L’aile du Spitfire était beaucoup plus mince que celle du Heinkel et avait un profil tout à fait différent. Mais l'influence du He 70 sur la conception Spitfire concerne la recherche de la plus grande finesse aérodynamique, comme le suggère l'extrait de la lettre de Mitchell à Heinkel.

Le Spitfire n’est donc pas le descendant direct du He 70, mais c’est en revanche le cas du chasseur He 100, qui peut donc être considéré comme un oncle un peu éloigné du CP20… et de tous ses descendants.

Le He100 ne fit pas une carrière remarquable, ce n'était pourtant pas à causes de ses qualités ni de ses performances, mais plutôt à un concours de circonstances...

Bonne lecture et bons vols

Philippe Dejean
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Philippe Dejean
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Re: L'Oncle du CP20

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

En y réfléchissant, il ne s'agit pas d'un oncle mais plutôt d'un grand cousin...

Bons Vols

Philippe Dejean
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Philippe Dejean
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Re: L'Oncle du CP20

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Le tableau de comparaison ci-dessous montre les qualités aérodynamiques du He-100 et combien il était en avance sur son temps.

Au début des années trente, les chasseurs étaient des biplans dont un des plus performants était le He 51B. Avec une vitesse de 330 km/h au niveau du sol, il était un peu plus rapide que son meilleur adversaire français, le Dewoitine D27 (313 km/h) et surclassait largement le Nieuport-Delage Ni-D.62 (248 km/h à 5000 m d’altitude !)

Si les premiers monoplans tels que le Dewoitine D-500 C1 (359 km/h à 4000 m d’altitude) ne représentèrent pas un écart de performance notable par rapport aux derniers biplans tels que le Polikarpov I-15 (363 km/h), il était clair que la formule biplan était dépassée pour les chasseurs.

Le D-520 avait de bien meilleures performances que son prédécesseur, le D-500. Il volait 170 km/h plus vite (529 km/h à 6000 m d’altitude) avec un moteur plus puissant (+ 162 kW) mais aussi une cellule plus lourde de plus d’une tonne !
On dit souvent que le plus gros problème du D-520 était sa sous motorisation. Son moteur Hispano-Suiza 12Y ne développait que 670 kW (900 CV), alors que quelques années plus tard les chasseurs seraient équipés de moteurs environ deux fois plus puissants.

Ce n’est que partiellement vrai. Si le D-520 avait un moteur relativement peu puissant, il était aussi beaucoup moins lourd que les chasseurs ultérieurs auxquels on le compare : 1193 kg de moins que le FW 190A-3, 1530 kg de moins que le Spitfire Mk IX, et 2482 kg de moins P-51D Mustang ! Un tel écart de masse, qui comprend une part importante de charge utile (essence + charge militaire), suffit à justifier la puissance nettement supérieure.

C’est sensiblement à la même époque que furent étudiés le Dewoitine D-520 et le Heinkel He-100.

Le He-100 est certes un peu plus puissant que le D-520, (+195 kW, soit 260 HP de plus), mais il est surtout beaucoup plus rapide avec ses 670 km/h (+141 km/h).

Le tableau est trié par rapport à la vitesse maximale. Cela place le He-100 entre le Yak3 (petit chasseur Russe très réussi de la fin de la seconde guerre mondiale) et le P-51D Mustang (une référence d’aérodynamisme à son époque), ce qui est déjà une performance impressionnante…

Mais on compare ici des vitesses atteintes à des altitudes très différentes : La vitesse du He-100 a été mesurée au niveau de la mer alors que celles de ses « concurrents » à des altitudes plus ou moins élevées. La ligne suivante correspond à la masse volumique de l’atmosphère standard à ces altitudes (ne connaissant pas l’altitude de mesure de la vitesse du Yak 3, je lui ai arbitrairement attribué une masse volumique de 1, plutôt favorable). A partir de cette donnée de densité, on peut corriger la vitesse de tous ces avions pour la ramener au niveau de la mer. Cette vitesse calculée peut être un peu plus faible qu’en réalité car l’altitude de mesure leur vitesse maximale pouvait être supérieure à l’altitude de rétablissement de leur moteur suralimenté. L’écart n’est pourtant pas suffisant pour changer la conclusion suivante :

Les qualités aérodynamiques du He-100 sont telles qu’il est de loin le plus rapide ! Au niveau du sol, il vole au moins 100 km/h plus vite que tous les autres chasseurs à moteurs à pistons y compris ceux qui seront produits bien plus tard comme le surpuissant Spitful ! (Les performances corrigées du Yak 3 sont probablement trop optimiste.)

Une autre manière de caractériser la qualité aérodynamique d’un avion est de calculer son SCx. Il est présenté à la ligne suivante, en supposant un rendement d’hélice réaliste de 85%.

Avec 0,186 m², le He-100 est largement en tête, deux fois et demie meilleur qu’un P-51D, presque trois fois meilleur qu’un D-520, et trois fois et demie meilleur qu’un Focke-Wulf, qu’un Spitfire ou qu’un Messerschmitt 109 !

Bien sûr, certains objecterons que je compare des choux et des carottes, et en particulier des avions de masse très différentes… Alors comme il est logique qu'un avion conçu pour voler deux fois plus lourd ait une traînée sensiblement double, il semble légitime de calculer le rapport SCx/Masse max.

C’est la valeur présentée à la ligne inférieure, (exprimée en mm²/kg pour ne pas se trainer des zéros après la virgule !) et la encore le He-100 arrive en tête avec ses 74 mm²/kg.

Le P-51D (qui rappelons-le est « la » référence aérodynamique des chasseurs de l’époque) n’arrive pas loin derrière (et cet écart est peut-être légèrement exagéré par la correction de vitesse à l’altitude 0 à puissance constante).
Par contre, le Spitfire –qui est loin d’être le plus mauvais- a un coefficient de traînée corrigé deux fois moins bon et le D-520 est encore derrière…

Tout cela montre que le He-100 était une véritable réussite aérodynamique !


Si aujourd’hui, on faisait un avion de voyage aussi réussi aérodynamiquement, les performances seraient impressionnantes :
Supposons une charge utile confortable : 4 passagers « lourds » de 100 kg chacun, 25 kg de bagages par personne et 100 kg (140 litres) d’essence, soit un total de 600 kg.

Pour emmener une telle charge avec un avion privilégient l’aérodynamique à la réduction de masse, on peut supposer une masse à vide de 750 kg.

On arrive donc une masse maximale au décollage de 1350 kg qui correspondrait donc à un SCx de 0,1 m²

Avec une puissance maximale au décollage de 150 kW (200 HP) suffisante pour décoller et monter en sécurité, l’avion aurait une vitesse maximale pleins gaz au niveau de la mer de…

460 km/h
(Soit juste en dessous de la limite des 250 kt imposée en dessous du FL 100, ça tombe bien, non ?)
En altitude, la croisière rapide serait du même ordre, de quoi traverser la France de part en part en guère plus de 2 heures…

Ça fait réfléchir, non ?

Bons Vols

Philippe Dejean
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Re: L'Oncle du CP20

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Pour en finir avec l’analyse des performances du He-100, que serait-il devenu si des considérations politiques n’avaient pas prématurément mis fin à sa carrière ?


1/ Ernst Heinkel voulait monter sur son He-100 V3, une version « compétition » du moteur DB-601, poussé à 1325 kW (1800 CV), identique à celui qui avait permis au Messerschmitt 209 d’établir le record de vitesse à 755,141 km/h. Sans l’opposition du RLM, cela aurait été fait, mais cela aurait-il permis à Heinkel de barre le record ? Comme il fallait une marge d’au moins 8 km/h pour valider le nouveau record, Le He-100 aurait-il pu voler à plus de 763,141 km/h ?

On peut supposer que si le RLM s’y est opposé, c’était parce qu’il craignait que Heinkel réussisse…
Mais pour vraiment répondre à cette question, il faut comparer les performances des deux machines.

Le Me-209 a volé à 755.141 km/h en survolant un terrain situé à 500 m d’altitude. Au niveau de la mer, sa vitesse n’aurait été « que » de 743 km/h.

En supposant un même rendement hélice de 85% pour les deux machines, cela signifie que le SCx du Me-209 était de 0,209 m² (simple coïncidence) alors que celui du He-100 n’était que de 0,186 m².
Cette plus faible trainée aurait permis au He-100 de voler à 772,3 km/h au niveau de la mer ou même de 784,8 km/h en survolant un terrain situé à 500 m d’altitude comme ne Me-209. Même si à ces vitesses, l’écart aurait pu être réduit à cause de problèmes de compressibilité, le record aurait probablement été nettement battu !

Cet écart de performance pose question : Pourquoi un avion plus petit et « taillé pour la course » tel que le Me-209 avait-il un SCx plus élevé qu’un chasseur de dimensions notablement plus importantes ?
La photo ci-dessous parle d’elle-même !

2/ Si le He-100 avait été produit en série pendant plusieurs années il aurait bénéficié de l’amélioration des moteurs, et on l’aurait probablement augmenté sa charge militaire.
Avec un moteur DB-605A-1 de 1086 kW, identique à celui du Messerschmitt Bf109G-2, et une masse maximale passée de 2525 kg à 3100 kg, sa vitesse maximale au niveau de la mer aurait été de 763 km/h, et certainement au moins 850 km/h en altitude. (Ernst Heinkel espérait atteindre les 1000 km/h, mais il ne connaissait pas les phénomènes de compressibilité en transsonique.)
Le He-100 aurait donc eu des performances suffisantes pour endosser les missions qui seront confiées aux chasseurs à réaction He 162 et Me 262, (retardant d’autant leur déploiement) sans en avoir la vulnérabilité à leur retour de mission…

Bons Vols

Philippe Dejean
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Re: L'Oncle du CP20

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Dans le précédent post, j'ai fait quelques erreurs concernant les défauts du Me-209 :

Point N°2 : La photo montre le prototype avant peinture sans ses trappes de train. Il est alors très difficile de se prononcer quant à la qualité de leur raccordement au reste de la cellule et de leur étanchéité.

Point N°3 : Le patin était rétractable pour former le bas de la dérive. Rien ne montre donc une source anormale de trainée.

Par contre les points N°1 et 4 restent vrais.

La pire source de trainée est le raccordement du fuselage et de l'aile basse.
Le Schéma illustre le phénomène.

On remarque qu'il ne suffit pas que le dessous du fuselage suive l'intrados de l'aile dans la mesure où le phénomène se produit en arrière du bord de fuite.
Le phénomène est d'autant plus grave que l'avion vole vite (incidence faible), que la ligne inférieure du fuselage diverge rapidement de celle du flux dévié par l'aile, que le bas de la section du fuselage est composé d'angles vifs, et que le fuselage est large.

Ce qui est relativement bénin pour un BB Jodel au fuselage étroit volant lentement, l'est nettement moins pour un DR400 bien motorisé...

Une solution partielle consiste à réduire le calage de l'aile afin que l'avion vole relativement cabré, C'est un peu le cas des Jodel, mais pas des CP qui ont tendance à voler "queue haute"...

On voit aussi sur la vue de profil du He-100 qu'il était beaucoup plus réussi sur ce point que le Me-209...

Bons Vols

Philippe Dejean
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