Bonjour,
Pour compléter ta réponse, je pense qu'il faut préciser que les phénomènes de décrochage haut et bas n'évoluent pas avec l'altitude pour la même raison.
Le décrochage bas (celui que nous connaissons bien sur nos avions lents qui restent près du sol) est lié à la diminution de la densité de l'air.
En subsonique, les effets aérodynamiques sont proportionnels à la densité de l'air :
- La portance est proportionnelle au produit de la surface alaire du coefficient de portance (lui même facteur de l'incidence) du carré de la vitesse et de la densité de l'air.
- La vitesse indiquée (Badin) est proportionnelle à la vitesse et à la racine carrée de la densité de l'air.
Donc : La portance est proportionnelle au produit de la surface alaire du coefficient de portance (lui même facteur de l'incidence)
et du carré de la vitesse indiquée.
Autrement dit, à masse et facteur de charge égaux, le décrochage survient toujours à la même vitesse indiquée, quelle que soit l'altitude. Ce qui varie, c'est qu'en montant la vitesse indiquée est de plus en plus faible par rapport à la vitesse vraie.
Le décrochage haut, lui, est lié à l'approche de la vitesse du son.
L'analogie inventée par J-P.Petit est très parlante : Supposons un autocar silencieux qui essaie de traverser une place noire de monde (de personnes aveugles).
Tant que l'autocar avance extrèmement lentement, chaque personne qui se trouve contre l'avant de l'autocar a le temps de prévenir ses voisins pour leur demander de se pousser, et ceux-ci de faire de même, et ainsi de suite.
Les personnes se poussent et aux angles avant de l'autocar, la densité de la foule augmente, ainsi que la pression de contact entre les personnes (c'est comparable à la surpression au bord d'attaque d'un profil d'aile).
Si l'autocar vire, du côté opposé au virage, la foule retrouve vite de la place et la densité-pression diminue (comme à l'extrados d'un profil) de l'autre côté, la foule continue d'être comprimée (comme à l'intrados du profil) mais dans la limite où les personnes ont toujours le temps de prévenir leurs voisins, cela se traduit aussi par les déplacements correspondants.
Si, par contre, l'autocar roule plus vite que la vitesse de communication entre les personnes, celles qui entrent en contact avec l'avant de l'autocar se trouvent projetées sur leurs voisines qui n'ont pas bougé. Avec pour effet de les faire tomber les unes sur les autes à la manière des dominos. Il se crée une onde de choc (au sens propre) qui a la forme de la vaque d'étrave d'un bateau.
Si l'autocar vire, du côté opposé au virage, le flanc de l'autocar s'éloigne trop vite pour que les personnes ne se relèvent et profitent de la place libérée pour retrouver une densité-pression abaissée : Ils restent en tas (ou en andains) devant un vide : C'est le décrochage "haut"
Le décrochage haut dépend donc du rapport entre la vitesse de l'autocar et la vitesse de communication - c'est à dire la vitesse vraie et la vitesse du son : le nombre de Mach. Par contre, que les personnes pèsent en moyenne 50 ou 100 kg n'a pas d'influence dans l'analogie, de même si le nombre de Mach varie avec l'altitude, ce n'est pas directement à cause de la densité de l'air, mais de la distance moyenne entre les molécules.
On pourrait objecter que la distance entre molécule et densité sont liées...

C'est exact, mais ce n'est pas une relation linéaire : si on veut diviser la distance entre molécules par deux il faut augmenter la densité par huit (le cube de l'inverse de la distance moyenne) c'est donc un effet du troisième ordre seulement...
Le domaine de vol d'un avion subsonique en altitude est donc limité :
1/ par le bas par le flux massique d'air autour de sa voilure, qu'on appréhende directement avec le badin (vitesse indiquée)
2/ par le haut par le nombre de Mach qui lui, est mesuré (ou plutôt calculé) par un autre instrument (le Machmètre - dont, modestes pilotes de monomoteurs à hélices- nous n'avons aucun besoin.)
Pour le vol AF447, "on" a émit l'hypothèse de la défaillance de la sonde pitot.
L'idée, c'est que les prises de pressions totale et statiques auraient été bouchées par le givre.
Le badin, qui mesure la vitesse en donnant une lecture proportionnelle à la racine carrée de la différence (pression totale - pression statique) aurait donc donné une valeur inférieure à la valeur réelle.
Alors que ce n'était pas le cas, le calculateur de l'avion aurait considéré que l'avion volait trop lentement, et aurait augmenté la poussée des moteurs... (pour éviter un risque fictif de décrochage bas)
Le Machmètre calculant le nombre de Mach également à partir des données de pression totale et statique, aurait également donné une valeur inférieure à la réalité.
Le calculateur n'aurait donc pas considéré la valeur de Mach comme dangereuse (bien qu'elle l'était) et aurait donc maintenu une poussée élevée... jusqu'à dépasser largement le nombre de Mach maximal (0,83 ?) et jusqu'au décrochage haut.
En subsonique, tous les écoulements autour de l'avion (même ceux localement accélérés par la courbure de la surface) restent en dessous de la vitesse du son.
En supersonique, c'est exactement le contraire : l'avion vole suffisament vite pour tous les écoulements autour de l'avion (même ceux localement ralentis par la courbure de la surface) restent au dessus de la vitesse du son.
Avec une altitude et un facteur de charge suffisant, le décrochage et la vrille peuvent subvenir aussi en régime supersonique... Mais les manoeuvres de sortie de décrochage et de vrille en régime subsonique ne sont pas nécessairement transposable car le foyer de l'avion a tendance à reculer en supersonique. Une des solutions employée par les pilotes d'essais des années 50 pour sortir du décrochage supersonique était d'obtenir un couple piqueur en sortant le train d'atterrissage !
Entre ces deux régimes, on est dans le régime transonique, qui est le plus complexe dans la mesure où on trouve localement des zones d'écoulement supersoniques et des zones d'écoulement subsoniques. C'est la gamme de vitesse où ça secoue au passage du mur du son. (Voir le passage du mur du son par Chuck Yeager dans l'étoffe des héros)
Si un avion de transport s'aventure dans ce régime, il y a forcément de fortes vibrations, mais dans le cas du vol AF447, celles-ci n'auraient pas été détectées par les pilotes car l'avion traversait de violents orages de la zone inter-tropicale (le fameux "pot-au-noir" de Mermoz)...
La défaillance des sondes Pitot aurait aussi pu avoir pour effet de fausser la valeur de la pression statique (à la hausse puisqu'alimentée à l'envers par la pression totale dans le badin) et donc de donner une lecture trop basse de l'altitude. Le calculateur aurait alors fait monter l'avion encore plus haut que la limite normale que constitue le niveau 350...
Or plus on monte, plus l'intervalle entre les décrochage hauts et bas. Dans le cas de l'U2, après son dernier alourdissement, la marge de vitesse de vol à l'altitude de travail était réduite à moins de 5 kt : Il était temps de le remplacer par le SR71 et les satellites !
Couplée à une défaillance des sondes de Pitot qui donnaient une lecture sous évaluées de la vitesse. Dans les turbulences de l'orage, les pilotes, mais aussi le calculateur auraient pu braquer les gouvernes à des angles incompatibles avec la résistance structurale de l'avion.
Or "on" a aussi avancé que les airbus de la série A300, A310, A330 et A340 auraient une relative faiblesse structurale à l'emplanture de la dérive, ce qui se traduirait par une faible vitesse maximale de braquage en butée de la gouverne de symétrie... Cette faiblesse justifierait qu'on ait retrouvé la dérive arrachée flottant à une grande distance des autres débris flottants.
Il est aussi vrai que vitesse élevé (ou même excessive) cumulée avec des turbulences "tropicales" ça fait vite des efforts qui dépassent la résistance structurale de n'importe quel avion normalement constitué.
Bien sûr, moi non plus je n'étais pas à bord...
Comme les boites noires (oranges) n'ont pas été retrouvées, les "experts" plus ou moins indépendants des constructeurs, bienveillants ou malveillants continueront à émettre des thèses diverses qui ne seront jamais vrament ni infirmées ni confirmées.
Ceci montre la limite de ce système d'enregistreurs. A l'époque où il a été conçu, c'était un bond immense pour la compréhension des accidents, et l'amélioration de la sécurité des vols... à condition de les retrouver.
Les progrès des communications, notamment par satellite, permettent d'imaginer de doubler le système d'archivage des boites noires par une transmission en temps réel des mêmes données vers un système de satellite vers un organisme centralisateur (FAA ?). Ce système permettrait de palier partiellement à l'absence des boites noires quand on ne les retrouve pas. Plus généralement, les données internes (avion) pourraient être utilisées pour améliorer la maintenance des flottes (e-monitoring) et les données externes (atmosphère) seraient autant de capteurs supplémentaires pour préciser les prévisions météo.
Certains craignent que de tels systèmes servent à "Flicquer" et contester les décisions des pilotes.
Je ne pense pas que cela puisse dépasser le débriefing constructif dans le but d'améliorer la sécurité des vols, car ce serait contraire à l'esprit qui a été appliqué depuis les débuts de l'aviation, et qui a permis de faire de frêles machines évoluant dans un environnement hostile, le moyen de transport le plus sûr (après les ascenseurs et les trains de certains pays).
D'autres craignent que ce soit la voie ouverte à la supression définitive des pilotes.
Cette voie est déjà ouverte par les drones militaires, mais si on peut à la rigueur imaginer des drones de transport pour le fret, je ne pense pas qu'il y aurait un intérêt financier à remplacer les pilotes par une machine dans les avions de transports de passagers car la majorité d'entre eux a peur en avion. Pour nous pilotes d'avions léger, ce sentiment de peur en avion est quelque chose d'étonnant que nous ne pouvons appréhender qu'intellectuellement, mais les études montrent qu'il est majoritaire.
Supprimer les pilotes humains nécessiterait le renforcement de l'équipe de PNC, aves un gain nul... Voire négatif, car en se privant de pilotes, on perdrait l'image du grand mage officiant dans son antre, dont l'autorité morale est bien utile pour appuyer le chef de cabine quand certains passagers font montre d'un manque de civilité notoire (moi aussi je peux parler "politique")
Ramené à notre modeste niveau, le principe des boites noires peut être très simplement transposé au moindre coût à l'aide d'un... petit camescope numérique HD.
En effet, en fixant un de ces petits appareils afin de filmer le tableau de bord, l'horizon et la position du manche, on peut avoir une idée assez précise de ce qui ce passe. En plus, le camescope enregistre aussi les sons, c'est à dire les conversations et les bruits du moteur et de l'air autour de la cellule. C'est également un bon moyen d'archiver la météo extérieure (pluie, visibilité, éclairs...) le tout pour environ le prix d'une heure de vol...
ça peut servir en cas d'accident, mais aussi lors des essais de son avion et en temps normal pour analyser à postériori son pilotage et ses prises de décisions...
Bon Vols (à Mach 0.2 ou 0.3, tout au plus)... filmés
Philippe Dejean