récit d'un convoyage du prototype du Béryl en 1969

Répondre
CHAPAT
Formation Théorique
Formation Théorique
Messages : 2
Enregistré le : 06 juil. 2007 23:09

récit d'un convoyage du prototype du Béryl en 1969

Message par CHAPAT »

A la suite de la suggestion de Mr J.C. PIEL en octobre 2006, voici le récit développé d'un convoyage du F-PMEQ effectué le 14 juillet 1969

Un convoyage du CP70 F-PMEQ

Suite à la suggestion de Monsieur Jean Claude Piel, et avec beaucoup de retard, voici la relation d’une histoire très ancienne, une aventure risquée vécue par moi- même et le prototype du Béryl.
Pilote de ligne retraité depuis un an et demi, je souhaitais retrouver dans la mesure du possible les moniteurs de mes débuts, mes anciens collègues et les avions dans lesquels j’avais découvert la joie du vol et forgé mes premières expériences. J’avais connu des moments intenses aux commandes de certains monomoteurs, serait-il possible que certains soient toujours en état de vol ? Je dois reconnaître que grâce à l’ordinateur ma quête a été globalement remplie de succès. Avec beaucoup d’émo-tions, au fil des jours, des noms puis des immatriculations, gravés dans ma mémoire, se sont dévoilés devant mes yeux ravis. De nombreux appels téléphoniques ont suivi.

Ainsi, le CP70 existait toujours ; il était basé sur un terrain d’aéro-club relativement proche de mon domicile. Le 26 octobre 2006 à Enghien-Moisselles, liant connaissan-ce avec le fils du concepteur du Béryl, je pouvais, 37 ans plus tard, porter un regard ému sur ce splendide petit avion quelque peu différent dans sa nouvelle livrée et avec son train classique. Je lui ai raconté succinctement l’histoire « développée » ci-dessous….

Année 1969. Agé d’un peu moins de 22 ans, je suis détenteur du brevet de pilote privé (on l’appelait second degré à l’époque) depuis 1964 et titulaire de 60 heures de vol. Délivré des obligations militaires depuis fin avril, et logeant dans la maison paternelle proche de Grenoble, je me jette, dès le mois de mai, à corps perdu dans la préparation d’un recrutement pilote (dit « F ») de la compagnie nationale prévu pour le printemps et l’été 1970. Il me faut chaque jour étudier les matières prévues au concours et parallèlement accumuler 140 heures de vol au cours des onze mois qui vont suivre. A l’aéro-club du Dauphiné dès le 25 mai, en double commande, je reprends les vols abandonnés contre mon gré depuis trois ans par défaut de moyens financiers (j’avais pu néanmoins effectuer quelques heures de planeur pendant mon service militaire).
Quelques jours et quelques heures de vol plus tard « lâché » sur Rallye puis mi-juin sur Robin 220 et Robin 250 je pouvais, ayant la confiance et le feu vert de mon chef-pilote, effectuer en CDB des voyages pour le compte de membres du club ou pour des clients (donc gratuits). Le 10 juillet, en 36 jours j’ai déjà accumulé 66 vols, je suis surentraîné et très motivé. Du fait de ma présence quotidienne au club le chef-pilote me propose d’effectuer le 14 le convoyage d’un avion vers le terrain de Chavenay en région parisienne. Au parking, découvrant le Béryl sagement posé sur son train tricy-cle (ce qui était peu courant sur les monomoteurs de l’époque) je suis tout de suite conquis. Il n’y a aucun moyen de radio navigation sur la planche de bord ce qui est tout à fait habituel. Le classique compas magnétique est la seule référence instrumen-tale disponible. On me signale qu’il ne me sera pas possible d’effectuer quelques tours de piste avant le convoyage et que je disposerai d’un jerrycan d’essence de 20 litres qui sera arrimé sur le siège de droite (pas bon ça !). Cependant je ne me pose pas de problèmes métaphysiques et, de retour à la maison, je plonge dans la petite documentation de bord et prépare le voyage. Compte tenu de l’autonomie, je décide de faire une escale technique au deux tiers du parcours….

Acte I
14 juillet. Temps superbe, 4h55 locales. Je n’ai guère dormi, mon frère aîné se mariant la veille mais je détiens la grande forme. Virage à gauche au décollage de la 04 du Versoud et montée au niveau 45 au cap vers Grenoble puis Voiron, à la sortie de la cluse de l’Isère, origine de ma navigation. Je prends alors le cap 336° qui doit m’amener à Avallon où j’ai décidé de me poser pour compléter le réservoir.
Deux minutes après le Bec de l’Echaillon, au lieu de passer au milieu du lac de Paladru je le laisse complètement à droite soit un écart de 15°. Le vent météo est supposé être quasiment nul. C’est éminemment « louche » ; je rectifie ma route et reprends le cap précédent. Quelques instants plus tard un château d’eau sur ma gauche ressemble fort au point « echo » d’entrée dans le circuit de Lyon Bron or je devrais en être éloigné de seize kilomètres sur la droite. Je pense impossible un telle erreur.
5h33. L’aérodrome de Pérouges Meximieux n’apparaît pas et les rivières défilant sous mes ailes ne ressemblent aucunement à celles portées sur la carte à ce point prévu. Mon étonnement se transforme en inquiétude lorsque je coupe l’autoroute Paris – Côte d’azur qui n’aurait du être visible que dix minutes plus tard. A partir de cet instant je n’identifierai aucun des repères prévus. Une heure s’écoule ainsi (!!?). Une rivière contiguë à un canal navigable que je me décide à suivre m’amène à un point que j’identifie de façon certaine. Le fleuve est la Loire et je suis à 64 km à l’ouest de ma route. Après une correction de cap de 70° vers la droite et 30mn de vol, j’atterris à Avallon dans la rosée du matin. J’ai volé 2h20 au lieu de 1h50….

Acte II
Vingt minutes plus tard je suis en vol au cap 315° (supposé) en direction d’Etampes. La vue de la ville de Nemours me rend confiance mais le sol plat entre-coupé de routes et de voies ferrées me désoriente (je suis surtout familier de la navigation dans les Alpes) et peu après je pense être perdu. Le niveau d’essence bais-se dangereusement. Je dois trouver d’Etampes. Je fais demi-tour et raccroche une voie ferrée et une route que je crois avoir identifiés sur une carte Michelin. Mon espoir n’est pas déçu et en quelques minutes de cheminement je pose l’avion sur le terrain d’Etampes
Vérification du carburant restant (très faible), étude de la carte aéronautique, correc-tion de cap à apporter et je lance le moteur….

Acte III
Au décollage le moteur fait entendre quelques « ratés » mais je continue à 600 pieds sol. Sept minutes plus tard, Dourdan point de report prévu ne se présente pas, ni Rambouillet (dernier point tournant) au bout de 15mn. Cela devient affolant. J’essaie désespérément de me situer sur la carte. Mes efforts sont vains. En effet lire une carte en vol alors que le temps passe, le carburant se tarit et que l’avion ne demande que quelques secondes d’inattention pour changer d’assiette ou de cap est une gageure.
Sans le savoir je passe à deux kilomètres d’un aéro-club. Déjà je cherche un terrain de fortune pour me poser. La forêt couvre l’horizon sur 360°. J’aperçois une piste de kart en ciment sinueuse et bordée de lampadaires ; cela ne peut me convenir.
Le moteur, qui a soif, fait entendre sa désapprobation, les tours chutent par intermit-tence, faisant bondir mon régime cardiaque, la peur s’installe, c’est la fin. Immédiate-ment je procède à un demi-tour, manette des gaz à fond pour récupérer toute l’essen-ce disponible et atteindre ce circuit de karting. Mais le destin qui se veut souriant m’offre, « tendu sur un plateau », un hippodrome au milieu de grands arbres.
L’avion est petit, son pilotage est fin, il peut effectuer des trajectoires précises. Je dois le guider vers cet espace salvateur. Je fais appel à toutes mes connaissances du vol, la finesse maximale, les deux alpha, l’axe de prise de terrain. Je dois être ni trop court ni trop long, la marge d’erreur est nulle.
Le moteur s’arrête mais la trajectoire est bonne et c’est dans le seul bruit de l’air sur le fuselage que l’approche, volets sortis, et l’atterrissage (doux) s’effectuent, les barrières défilant de chaque côté des ailes à environ cinq mètres. Le « taxi » arrêté aux deux tiers de la ligne droite est laissé tel quel.
Je récupère mentalement dans un silence total….
Je viens littéralement d’échapper à la mort….

Acte IV
Porte documents sous le bras, je traverse le terre-plein central de l’hippodrome et interpelle une personne travaillant près des écuries. Tout d’abord incrédule à ma demande de position géographique (Dreux me dit-il !) il se propose ensuite obligeamment de m’emmener à l’aérodrome local chercher du carburant.
Un membre de l’aéro-club m’amènera ensuite au commissariat de police effectuer ma déposition ce qui va déclencher une incroyable procédure : messages, déclarations et appels téléphoniques au CCR de Tours, au commandant de gendarmerie, à la police de l’air, à l’aéro-club de Chavenay, à celui du Versoud. Le Colonel commandant la région aérienne me fait jurer que je peux décoller sans danger de mon terrain de fortune….
Une heure et demi plus tard une Estafette de la gendarmerie ma ramène à mon avion observé par quelques curieux du voisinage. Plein effectué. Ces messieurs de la force publique me donnent le judicieux conseil de suivre la route nationale proche et la voie ferrée qui me guideront vers ma destination puis ils m’aident à retourner le Béryl afin que je puisse aller de manière autonome au bout de la courte ligne droite….

Acte V
Essai moteur pendant deux minutes ; celui-ci tourne comme une horloge. Puissance de décollage sur freins. J’arrache l’appareil du sol et effectue un palier le plus long possible pour augmenter la vitesse et franchir la barrière du virage et les arbres qui la borde. Une belle ressource m’affranchit des obstacles, le taxi grimpe bien. Dreux, bien visible, est le début de mon fil d’Ariane. Je m’accroche à la voie ferrée. 24mn plus tard, sous un soleil éclatant, je pose le Béryl sur la piste de Chavenay. Le commandant d’aérodrome me reçoit, je lui remets en mains propres les documents de l’appareil, prends quelques photos et commande un taxi pour Paris gare de Lyon. La journée est loin d’être finie, car je dois rentrer en train à Grenoble. Cela me laissera beaucoup de temps (trop !) pour tirer les conclusions de cette folle aventure…

Epilogue

Tout évènement peut s’expliquer et la part de responsabilités varie, à charge ou à décharge, selon sa propre analyse. Je n’ai pas l’intention de m’y soustraire. En juillet 1969 mon expérience était réduite ; mes connaissances en navigation ne pouvaient que me mettre en situation délicate surtout sur un trajet et dans un environnement géographique nouveau. L’avion était sous équipé mais c’était la norme donc je ne retiens pas cet élément. Par contre, le compas seule référence initiale de navigation n’avait aucune fiabilité et tournait en ligne droite (entre 15° et 60° probablement !). Surtout je n’ai pas été capable de savoir refuser ce vol, prévu sans argent liquide et avec un jerrycan de carburant à bord, parce que encore trop frêle au plan de ma personnalité, il ne m’est pas venu à l’esprit de perdre un voyage gratuit dans l’optique de ma préparation à Air France. Ensuite je me suis enfoncé dans un tunnel mental, et fort de mon inconscience, j’ai persisté jusqu’au point de non retour. J’ai donc accumulé beaucoup de fautes et pris d’énormes risques sans vraiment réaliser ce que je faisais. On pourra appeler cela l’inconséquence de la jeunesse ou une profonde bêtise. Même si j’ai su gérer l’énorme pression psychologique de la fin du vol, une incroyable chance m’a accompagné…
L’important est d’en tirer, pour l’avenir, un enseignement très positif. Entre autre j’en ai retenu qu’il faut toujours vérifier, aligné sur la piste, la concordance du cap compas avec le relèvement magnétique de celle-ci et noter la différence éventuel-le. Ensuite il faut s’entraîner, bien préparer tous les vols et garder en tête une immen-se modestie tout au long de sa carrière…..
Avatar du membre
cp1315
Administrateur
Administrateur
Messages : 2818
Enregistré le : 07 sept. 2004 23:05

Message par cp1315 »

Bonjour et bienvenue parmis nous.

Merci à vous pour ce récit et à JC pour en avoir fait la demande.

Je me suis permis de supprimer votre fichier joint "doc" pour mettre le texte directement dans le message.

En tant que pilote de ligne, vous êtes arrivé à la retraite, c'est bon signe, cette expérience vous a appris quelques choses et vous avez certainement pu en tirer tous les enseignements qui en découlaient.

Votre conseil sera sans doute très utile pour tous ceux qui le liront !!! :lol:

Laurent
Un avion Piel, sinon rien ....
Répondre