Salade (indigeste) d'unités

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Philippe Dejean
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Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

En tant que pilotes, nous sommes plus ou moins familiarisés avec les unités non métriques.

- Les miles nautiques (Nm) et les nœuds (kt) qui sont respectivement une distance correspondant à la longueur d'une minute d'arc de grand cercle terrestre et une vitesse correspondant à la longueur d'une minute d'arc de grand cercle terrestre par heure. Ces unités sont assez pratiques pour naviguer : à la vitesse de 100 nœuds, qui correspond à peu près à la vitesse pratique de nos petits avions il nous faudrait 60 x 360/100 heures, soit 216 heures soit exactement 9 jours pour faire le tour de la terre...

- Les unités impériales : le pied (et le pouce), le mile terrestre (qui n'est pas d'origine anglaise, mais romaine) et la livre qui est une unité de force correspondant au poids sur la terre d'une masse de 453 grammes. Ensuite, il y a le Gallon qui n'est pas le même dans les anciennes unités anglaises et aux états-unis (US Gallon) pour certains réservoirs

- Les unités "traditionnelles" tel que le cheval vapeur (CV), à ne pas confondre avec le "horse power" (HP) qui n'ont pas exactement la même valeur. le kilomètre par heure.

Nous nous en accommodons plus ou moins facilement, mais
1/ les conversions sont connues
2/ Nos anciens ont inventé des coefficients tels que le "facteur de base" qui permet de jongler mentalement en vol avec les nœuds, les degrés, les pieds.

Mais il y a bien pire : le système "métrique" !

Vous le croyez probablement unique et simple puisque décimal... mais c'est complètement faux !

Certes, il est décimal et il se base sur le mètre qui est (à notre échelle de précision) immuable.
Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, depuis son introduction, il y a environ deux siècles, il a énormément changé sans qu'on mesure l'ampleur de ce changement.

Bien sûr, il a eu les systèmes "mTs" (mètre - Tonne - seconde) et "cgs" (centimètre - gramme - seconde) qui ont eu leur heure de gloire, et toutes les unités dérivées qui leurs sont propres...

Mais il y a eu surtout le système "mks" (mètre - kilogramme - seconde) dont la proximité apparente avec notre système international actuel "mksA" est à la fois trompeuse et catastrophique quand on veut utiliser les abaques et les formules des plus célèbres livres de construction aéronautiques (Vallat, Guillenschmit, Guy du Merle, ...)

Dans le système international actuel "mksA" (mètre - kilogramme - seconde - Ampère), le kilogramme désigne une masse, c'est à dire une quantité de matière, alors que dans l'ancien système "mks" (mètre - kilogramme - seconde), le kilogramme est une force définie comme le poids d'un litre d'eau.

Certains pourraient objecter que comme la densité de l'eau est de 1000 kg/m3, la masse d'un litre (1/1000 de m3) d'eau est toujours d'un kilogramme et qu'il n'y a donc aucun problème... Si je ne peux qu'être d'accord avec la masse du litre d'eau, je ne le suis absolument pas pour la conclusion !

Pour plus de clarté je vais préciser les termes que je vais utiliser ensuite.
- le kilogramme (kg) est l'unité de masse de notre système international actuel "mksA"
- le kilogramme-force (kg-f) est l'unité de force de l’ancien système "métrique" "mks"
- le kilogramme-masse (kg-m) est l'unité dérivée de masse de l’ancien système "métrique" "mks"

Dans l'ancien système métrique, un kg-f par mètre carré est une pression.
Dans le système actuel, un kg par mètre carré est une masse surfacique par exemple la masse d'un mètre carré de tôle d'aluminium.
Ces deux grandeurs ont leur importance pour le calcul d'un avion, mais elles ne sont absolument pas interchangeables.
On pourrait passer la nuit à trouver des exemples de différences... pas si anodines qu'il y parait à première vue.

Le kilogramme-masse (kg-m) est logiquement défini comme la masse qui est accélérée de 1 mètre par seconde carrée par une force de un kilogramme-force (kg-f).
Cela ressemble beaucoup (comme une image dans un miroir) à la définition de l'unité dérivée de force dans le système international actuel "mksA" :
Le Newton (N) est la force qui accélère une masse d'un kilogramme (kg) d'un mètre par seconde carré.

Ce qui complique tout, c'est que la pesanteur terrestre n'est pas de 1, mais de 9,81 mètre par seconde carré :
- Le kilogramme-force (poids d'un litre d'eau dont la masse est d'un kilogramme), vaut 9,81 Newton (N)
- le kilogramme-masse (masse accélérée de 1 m/s² par une force de 1 kg-f), vaut 9,81 kilogramme (kg)

Donc, en prenant pour exemple le passager standard de 170 livres (lbs) :
1/ A un poids (force due à la gravité sur terre) de 77 kg-f ou de 755,37 Newton (N)
2/ A une masse (quel que soit le champ de gravitation) de 77 kg ou 7,85 kg-m

Cette dernière valeur montre à quel point utiliser une formule ou un abaque d’un livre ancien en système « métrique » est dangereux : Si on n’y prend pas garde, on a très vite fait de faire une erreur monumentale qui se traduira au mieux par un avion trop lourd, au pire par une structure trop fragile.

Certains objecterons que lorsqu’ils montent sur un pèse personne, ça ne change rien leur masse (par exemple 80 kg se lira toujours de la même manière 80 kg en kg-f…
Et bien non, ça dépend du facteur de charge (ou de la gravité) et du type de pèse personne.

Le premier type de pèse-personne est en fait un dynamomètre. Il mesure le poids, c'est-à-dire la force avec laquelle la gravité appuie leur masse contre le plateau du pèse-personne, que ce soit via la mesure de la déformation d’un ressort ou bien par la mesure du courant électrique nécessaire afin qu’un électroaimant contrebalance exactement la force à mesurer.
Logiquement, les dynamomètres devraient être gradués en Newton, mais on continue à les graduer en kg-f sous prétexte que sur terre, la gravité est à peu près constante et que la valeur lue est très proche de la masse de la personne en kg.
Si on utilisait un tel pèse-personne sur la lune où la gravité est 6 fois plus faible, la valeur lue serait également 6 fois plus faible… La mesure serait-elle fausse ?
Si on considère ce pèse personne pour ce qu’il est, c'est-à-dire un dynamomètre, la valeur lue sera juste en kg-f qu’on pourra traduire en unité correcte (Newton) en multipliant la valeur lue par 9,81.
Par contre, si on considère à tort que le pèse personne mesure une masse en kg, la valeur sera fausse d’un facteur 6.

Mais il existe aussi des pèse-personnes qui (pour peu que la gravité soit non nulle là où on les utilise) mesurent bien la masse.
Ces pèse-personnes sont basées sur le même principe que la balance romaine où le moment dû au poids de la masse à mesurer est contrebalancé par celui du poids d’une masse de valeur connue qu’on écarte du pivot sur une glissière graduée.
La lecture est considérée comme bonne quand les moments s’équilibrent. Comme la gravité est la même pour la masse à mesurer et pour la masse connue, l’équation se simplifie et on mesure bien la masse, qui est donc naturellement graduée en kg.
Si on utilisait un tel pèse-personne « massique » sur la lune où la gravité est 6 fois plus faible, la valeur lue serait… inchangée. Mais la mesure serait-elle fausse ?
Si on considère ce pèse personne pour ce qu’il n’est pas, c'est-à-dire un dynamomètre, la valeur lue sera fausse en kg-f et la traduction en Newton le sera tout autant.
Par contre, si on considère à raison que le pèse-personne mesure une masse en kg, la valeur sera tout aussi exacte que sur terre.

Tant qu’on s’intéresse à des grandeurs habituelles, il est assez facile de s’y retrouver. Mais des erreurs quasiment indétectables peuvent se glisser dans l’utilisation des formules de calcul de structure ou d’aérodynamique… avec des conséquences catastrophiques.

Alors je m’adresse à tous les sachants qui pondent régulièrement des livres s’appuyant sur des travaux plus anciens : De grâce, et même si c’est très fastidieux, traduisez TOUT en unités du système international actuel « mksA » sinon votre travail d’écriture, aussi considérable soit-il, ne pourra pas être utilisé !

Merci d’avance

Philippe Dejean
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Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Comme je l’ai expliqué dans le post ci-dessus, il est devenu de plus en plus difficile et incertain d’utiliser l’immense connaissance accumulée par nos avionneurs français d’avant 1950.

Parfois, il est possible de convertir ces informations en unités utilisables avec un bon niveau de fiabilité, mais le plus souvent l’enseignement des connaissances a trop évolué avec l’utilisation des outils numériques.
De très élégantes techniques graphiques couramment utilisées à l’époque de la rédaction des ouvrages de références (et qui n’y sont évidement expliquées que pour des esprits non formatés par les outils numériques) deviennent très ardues à exploiter sans erreur.

Sans les moyens informatiques lourds des avionneurs actuels, nous, les amateurs, sommes-nous condamnés à régresser, et à concevoir des avions de moins en moins bien optimisés ?
Et bien non, parce que des livres de référence comparables aux livres français que nous ne sommes d’exploiter correctement ont été (et sont toujours) rédigés par des américains.

Certes les unités US ne sont pas d’un emploi facile, mais les convertisseurs numériques ne manquent pas. Mais surtout, nous ne retrouvons pas dans le système d’unités US les incertitudes comme celles entre le kg et le kg-m (qui n’est le plus souvent désigné dans les livres de référence comme une unité de masse qu’au milieu d’un texte parfois éloigné de plusieurs pages de la figure ou de l’abaque qu’on souhaite utiliser !)

Prenons un exemple :
La livre (lbs) est une unité de force qui vaut 4,4482216153 Newton
L’unité de masse qui en dérive naturellement est la masse accélérée de 1 ft/s² par une force de 1 lbs. (Bien évidemment, il faut être cohérent et ne pas considérer le m/s² !)
Et cette unité de masse est le Slug, qui vaut 14,593902937 kilogramme (kg)

Ce n’est certes pas d’un emploi aussi évident pour nous que les unités du système international « mksA », mais contrairement au kg dont on ne sait jamais vraiment quelle grandeur il représente, et avec quelle valeur, au moins une livre est une livre et un slug est un slug…
Enfin, "slug" est aussi le nom de la limace en anglais, mais ne compliquons pas ce qui l'est déjà bien assez !

Donc on prend un livre américain, et on traduit tout en unités « mksA » (et en français si on le souhaite) et enfin, on peut comprendre de quoi on parle !

Bons vols

Philippe Dejean
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Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Une des grandeurs dimensionnantes d'un avion est sa puissance.
Il est évident que cette puissance devra être d'autant plus plus grande que l'avion sera grand et surtout, lourd.

Il est d'usage de considérer la « charge au cheval », ce qui revient à diviser la masse maximale au décollage de l'avion (en kg) par la puissance maximale du moteur (en CV... ou en HP).

La confusion entre CV et HP reste anecdotique dans la mesure où ces deux grandeurs sont très proches :
1/ Le « cheval vapeur » (CV) est défini comme 75 [kg(-f) x m / s]
(Vous aurez noté ces kilogramme-force du vieux système métrique !)
En traduisant les kg-f en Neuton, on obtient 736 [N x m /s] c'est à dire 736 Watts (W)
2/ Le « Horse Power » est défini comme 550 [lbs x ft / s]
Ce qui correspond à 746 Watts (W).

Diviser la masse de l’avion (en kg) par sa puissance en CV ou en HP revient donc à peu près au même, mais certains auteurs (comme Chris Heintz) regrettent que cette grandeur « fonctionne à l'envers » dans la mesure où l'avion sera d'autant plus puissant et performant que la « charge au cheval » sera petite.

Il suffirait donc de faire le contraire, c'est-à-dire diviser la puissance par la masse pour que cette nouvelle grandeur « fonctionne à l’endroit », c'est à dire qu'elle augmente avec les performances.

Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas exprimer les grandeurs dans leurs unités du système international ?

Quelques exemples triés par ordre de puissance massique croissante :

CP20 : Puissance 25 CV = 18400 W ; Masse maximale 270 kg ; Puissance massique : 68,15 W/kg.
Cessna 150 : Puissance 100 HP = 74600 W ; Masse maximale 726 kg ; Puissance massique : 102,75 W/kg.
DR400/180 : Puissance 180 HP = 134280 W ; Masse maximale 1100 kg ; Puissance massique : 122,07 W/kg.
CP615 : Puissance 160 HP = 119360 W ; Masse maximale 860 kg ; Puissance massique : 138,79 W/kg.
ULM biplace maximal au standard 2019 : Puissance maximale 80 kW ; Masse maximale 545 kg (avec parachute de cellule) ; Puissance massique : 146,79 W/kg
CAP10C : Puissance 200 HP = 149200 W ; Masse maximale 830 kg ; Puissance massique : 179,76 W/kg.
CP80 : Puissance 100 CV = 74600 W ; Masse maximale 380 kg ; Puissance massique : 196,32 W/kg.

On voit en gros que les avions légers ont une puissance massique comprise entre 100 W/kg et 200 W/kg, ces valeurs n’étant nullement limitatives.

Le CP20 originel, de même que le CP40 originel, étaient notoirement sous-motorisés, et ils se sont révélés bien plus agréables après avoir été re-motorisés par un VW1600 de 45 CV = 33120 W, qui les ramenaient au dessus de 100 W/kg.

Certains avions de voltige monoplace sont plus proches de 200 HP pour une masse ne dépassant pas 500 kg, ce qui correspond à une puissance massique de près de 300 W/kg… Mais ces avions ont également des performances hors du commun par rapport à nos petits avions.

Le critère de la puissance massique est donc très parlant. Il est aussi très facile d’emploi :

Supposons qu’on veuille faire un quadriplace « minimal » en technologie tube-toile comme le Piper Cub pour faire de la balade à basse altitude vitesse relativement réduite. (une sorte de "Pacer" moderne avec une bonne capacité d'emport pour emmener des passagers assez lourds)
En supposant une charge utile de 380 kg et 70 kg (100 litres d’essence) et un rapport masse à vide/masse maximale de 55%, on arrive à une masse maximale estimée de 1000 kg.

* Un Lycoming O-235 de 120 HP développe 89520 W, ce qui donnerait une puissance massique de 89,52 W/kg qui risque d’être trop juste pour décoller à pleine charge en sécurité par temps chauds.

* Un Lycoming O-320 de 150 HP développe 111900 W, ce qui donnerait une puissance massique de 111,9 W/kg beaucoup plus sécurisante. Ce moteur ayant un rapport volumétrique de 7 :1 il accepte très bien de tourner à l’essence auto qui ne pose aucun problème à basse altitude.

* Un Rotax 915 iS, beaucoup plus cher mais plus léger que les moteurs ci-dessus, même lorsqu’il est équipé d’une hélice à pas variable électrique, développe 105000 W, ce qui donnerait une puissance massique de 105 W/kg, tout à fait suffisante pour une consommation et des nuisances sonores moindres.

Je sais que même si la puissance massique exprimée en W/kg est plus pratique et logique que la « charge au cheval », cette dernière aura encore longtemps des adeptes, mais moi, j’ai décidé de l’utiliser. Libre à vous d'en faire autant... ou pas.

Bons Vols

Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Je ne pouvais pas laisser cette petite série de messages sur les unités sans évoquer les erreurs dans leur emploi.

Quelquefois hilarantes de bêtise, elle sont le plus souvent rageantes car elles rendent le message incompréhensible.

Une des erreurs le plus communes pour moi qui suis électricien, est le mélange récurent entre les kW (ou les MW) qui représentent une puissance et les kWh (ou les MWh) qui représentent une énergie.
Quand on lit la plupart des articles traitant des énergies renouvelables dans la presse, on tombe sur des phrases telles que :

"Ce nouveau parc d'éolienne produira chaque année l'équivalent de la consommation électrique annuelle d'une ville de 20000 habitants"

On a de la chance cette fois, la période de référence est la même pour la production et la consommation, et on compare bien des énergies produites et consommées, mais ce n'est pas toujours le cas.

On trouve très souvent de superbes bourdes où on donne des puissances en MWh... Il aurait suffit d'ajouter "par an" pour qu'on ait une puissance moyenne annuelle, qui ne signifie pas forcément grand chose, mais qui correspondrait quand même à une puissance... Mais ce serait sûrement trop demander.

Depuis quelque temps Citroën propose une nouvelle voiturette électrique, avec une forme de commercialisation assez "innovante" ou "bizarre" suivant ce qu'on en pense, mais ce n'est pas mon propos ici.
Sur le pare-brise de cette voiturette en exposition, il y avait une étiquette avec des informations techniques... (voir photo jointe)

Voyons ce qu'on peut en tirer d'utile.

Puissance maxi en kW CEE (ch CEE): Moteur électrique de 6 kW
Je passe sur l'ancienne dénomination en ch (comprendre cheval-vapeur de 736 watts) qui n'est même pas renseignée, ce qui n'est pas plus mal.
Donc, on attend bien une puissance MAXImale en kW... Et nous avons un moteur électrique de 6kW...
On pourrait se contenter de cette réponse, sauf que lorsqu'on donne la puissance d'un moteur électrique sans autre précision, il s'agit de la puissance assignée qui est en gros assimilable à la puissance maximale continue, pas à la puissance maximale instantanée qui peut-être plus élevée...
Bref, on sait qu'on a un moteur électrique et qu'une de ses puissance assignée ou maximale vaut 6 kW : dommage ça aurait pu être un peu plus précis !

Puissance administrative 1 CV
La puissance administrative n'a rien d'une puissance, c'est une grandeur fiscale et réglementaire qui, en l’occurrence ne dépasse pas la limite assignée aux voiturettes et aux 2 roues qui peuvent être conduits dès 14 ans sans permis de conduire.
Vous noterez au passage que cette grandeur qui n'a rien de physique est tout de même libellée en en CV (autre signe qui correspond normalement au cheval-vapeur de 736 watts), histoire de bien perdre le lecteur.

Couple maxi en Nm : 625 tr/min
Alors là on touche au sublime !
On attend un couple exprimé en Nm, rien de plus normal en unités mksA, et... on a droit à une vitesse de rotation en t/min, ce qui n'a absolument rien à voir !
Que faire d'une telle donnée ?
On pourrait se dire que si le couple de référence du moteur de 6 kW est donné à 625 tours par minutes, il suffit de calculer de tête 6000 (watts) multiplié par 60 (secondes par minute) divisé par 625 (tours par minute), le tout divisé par deux fois le nombre Pi (nombre de radians par tours) pour obtenir... 91,67 Nm
Youpi, on a retrouvé des Nm ! Mais on en fait quoi de cette valeur en ne sachant pas à quoi la raccrocher ? Rien !

Boite de vitesse : Automatique
La boite de vitesses ne risque pas d'être manuelle : il n'y en a pas !
Avec un véhicule aux performances aussi limité il n'y en a pas besoin : le moteur électrique est accouplé à une transmission simplissime à rapport unique (d'ailleurs vous aurez noté que le mot vitesse est au singulier) et bien sûr sans embrayage.
Il aurait été plus juste d'écrire "NA" pour non-applicable, mais les clients préfèrent probablement avoir une absence de boite de vitesse(s) qui soit quand même automatique, même si on se demande vraiment ce que ça peut bien vouloir dire !

Pneumatiques : 155/65 R14
En bon constructeur automobile, Citroën a donné la dimension des pneumatiques. Rien d'anormal, si on n'y regarde pas de trop près :
- 155, c'est en millimètre, la largeur de la bande de roulement
- 65, c'est la hauteur des flancs, non pas exprimé aussi en mm, mais en pourcent de la largeur de la bande de roulement, histoire de faire simple.
- R, c'est la classe de vitesse maximale d'utilisation du véhicule (pour une voiturette qui ne devrait pas pouvoir dépasser 45 km/h, R c'est amplement suffisant)
et enfin, le meilleur pour la fin,
- 14 c'est le diamètre de la jante en pouces (ou en "inches" si vous préférez) de 0,0254 m
Mais comme tous les pneus sont connus comme ça, passons sur la logique toute relative de cette manière de faire !

Capacité : Lithium-Ion 5,5 kWh
On donne le type de la batterie là où on l'attend pas, mais bon on connait sa capacité de 5500 Wh.

Autonomie électrique (kms) : 75 (usage selon norme WMTC)
On ne mets pas de s aux unités !
Mais comme nous sommes assez intelligents pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'une grandeur bizarre exprimée en kilomètres multipliés par des secondes, mais juste de l'autonomie exprimée en km, on récupère une information utile.

Cette information est d'autant plus utile que si on divise la capacité de la batterie par l'autonomie, on obtient la consommation d'énergie moyenne au km :
5500 / 75 = 73,3 Wh/km

Or une énergie divisée par une distance, c'est homogène à une force :
73,3 x 3600 /1000 = 264 N
Autrement dit, aux pertes de la transmission près, on connait la force moyenne utilisée pour faire avancer la voiturette !

Consommation électrique à la prise : 119 wh au kilomètre
Valeur utile pour, connaissant le tarif de son fournisseur d'électricité, calculer le cout d'un trajet...
Et effectivement, ce n'est pas cher même en comptant environ 15 cts par kWh on est à 1,65 cts par km ou donc 1,65 Euros pour 100 km.
Pour comparer avec de l'essence à 1,4 Euro par litre, ça correspondrait à 1,2 litres/100 km, ce qui serait insuffisant pour un véhicule thermique équivalent

Mais attendez un peu, au dessus, on a déjà calculé des Wh/km... On en avait 73,3 pour faire avancer la voiture, et maintenant il en faut 119 pour recharger la batterie !
On peut donc calculer le rendement total de charge et de décharge de la batterie :
73,3/119 = 61,62 %
Un telle valeur n'a rien de glorieux !
Sur une recharge lente bien maitrisée il faudrait être au moins à 75%
On est vraiment sur du matériel bas de gamme...

Pour conclure, la fiche technique est au niveau déplorable mais malheureusement conforme à ce qu'on voit couramment.

La maitrise des unités est catastrophique et le niveau de connaissance de la physique visiblement lamentable.
Je n'en rajouterai pas plus.

Bons Vols

Philippe Dejean
Fichiers joints
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour à tous,

Mon précédent message montrait les absurdités d’une fiche d’information sur une voiturette électrique.

On pourrait croire que c’est un phénomène ponctuel sur une petite fiche écrite par un service commercial pas très au fait de la technique…

Ne pourrait-on pas espérer que ce genre d’erreurs grossières soit absent des articles écrits sérieusement dans des journaux sérieux?…
Et bien non !

Voici ce qu’on trouve publié le 29 septembre 2020 à 16:57, dans la rubrique « économie » du journal « Le Figaro », sur la base d’une information de l’AFP (Agence France Presse)
(Il y a peut-être plus sérieux, mais c'est certainement plus cher) :bowdown:

« RTE ouvre le plus grand site en France de stockage d'électricité sur batteries »

Pour les non électriciens RTE signifie « Réseau de Transport d’Electricité », c’est l’entreprise publique qui gère le réseau de France métropolitaine entre les producteurs et les consommateurs qui eux, sont de droit privé.

« Plus de 5.600 batteries d'un poids total de 270 tonnes; une capacité de stocker la consommation de 10.000 foyers: RTE a ouvert mardi le plus grand site en France de stockage d'électricité sur batteries, pilotées automatiquement de manière «inédite au monde». Le plein soleil de midi, suivi d'une bordée de nuages. Un vent à décorner les bœufs, avant un calme plat: la production d'énergie renouvelable, en particulier éolienne et solaire, joue au yoyo, sans considération pour les besoins en électricité. »

Utiliser des batteries pour stocker de l’énergie quand la production dépasse la consommation et renvoyer l’énergie sur le réseau quand la production fait défaut, c’est parfaitement logique…

Ce qui est plus gênant c’est qu’on compare d’un côté l’énergie qui peut être stockée dans les batteries, et de l’autre côté la puissance consommée par 10. 000 foyers…
Tout ce qu’on peut dire c’est que capacité des batteries permet d’alimenter 10.000 foyers pendant… un certain temps ! :2guns:

Un an, un mois, une semaine, un jour, une heure, une minute, une seconde ? Mystère !
(Les paris sont ouverts, rayez les mentions inutiles et renvoyez votre bulletin au journal Le Figaro. Les gagnants gagneront le droit de rejouer la prochaine fois, et les perdants aussi, d’ailleurs !)

Continuons :
« Comment éviter que soient perdus les pics de production? Et comment permettre de satisfaire la consommation une fois le vent tombé ou le soleil parti? «Notre rôle est un rôle d'acrobate», résume Elisabeth Bertin, déléguée pour la Bourgogne-Franche-Comté de RTE, gestionnaire du réseau transportant l'électricité. «Pour cela, il faut innover», explique-t-elle.
Exemple à Fontenelle (Côte d'Or), où un site d'une quarantaine d'éoliennes va à terme produire 100 mégawatts (MW), une capacité trop importante pour les lignes à haute tension existantes. Alors, pour «assurer la solidarité des territoires» entre sites de production et centres de consommation, RTE a installé en plein champ, près des éoliennes, plus de 5.000 batteries d'une puissance pouvant atteindre 1.000 volts chacune (contre 48 pour celles des voitures électriques). Elles fonctionneront comme un tampon absorbant les pics pour mieux distiller leur électricité en fonction des besoins et ainsi «lisser» la production. »


En dehors des acrobaties, l’idée est bien de stocker de l’énergie quand la production dépasse la consommation et renvoyer l’énergie sur le réseau quand la production fait défaut, n'est pas devenue mauvaise en dix minutes : rien à redire à ça.

Par contre, ce qui me dérange beaucoup, c’est la puissance des batteries libellée en volts ! :2guns:

La puissance c’est des Watts, qui correspondent pour les mécaniciens à des Neutons multipliés par des mètres par seconde, et pour les électriciens à des Volts multipliés par des Ampères.
Les Ampères, vous savez, le A du système d’unités mksA, l’unité de mesure du courant électrique.

Et ça continue :
« L'ensemble des batteries peut entreposer jusqu'à 24 MW/heure, soit l'équivalent de la consommation de 10.000 foyers environ, selon RTE, qui gère le plus important réseau d'électricité en Europe avec 105.000 kilomètres de liaisons…

On est heureux d’apprendre que RTE gère un grand réseau, beaucoup moins du début de la phrase !

Passons sur l’usage du mot « entreposer » qui évoque plus le travail de manutentionnaires que le charge ou la décharge d’une batterie, ce sont les « 24 MW/heure » qui me font bondir !

D’abord, des MW/heure ça existe bel et bien, ça correspond à une pente de prise de charge. Quand une centrale augmente sa puissance produite, par exemple, de 600 MW à 900 MW en trois heures selon une pente régulière, sa pente de prise de charge est de 100 MW/heure.

Il s’agit donc de la dérivée de la puissance par rapport au temps… Qu’on compare une fois de plus avec la consommation de 10.000 foyers, qui est une puissance : Re-raté !! :2guns:

Sauf que ce n’est pas cela non plus. Puisque ce que l’article évoque dans des mots inadéquats c’est la capacité de stockage et donc une énergie, qui n’est pas la dérivée, mais au contraire l’intégrale de la puissance par rapport au temps.
Avec un peu de bon sens on arrive à corriger en 24 MWh, qui est bien une énergie… Mais la comparaison avec les 10.000 foyers ne veut toujours rien dire si on ne connait pas le temps de référence.

Je vous ferai grâce de la fin de l’article, le Figaro n’est visiblement pas meilleur que le service commercial de Citroën… :bye2:

Mais je ne peux m’empêcher de vous poser la question : comment lisez-vous « 80 km/h » ? :angel_not:

Si vous dites « quatre-vingts kilomètre heure », sachez que vous parlez d’une distance multipliée par un temps, qui à vrai dire, est d’un emploi particulièrement rare.
Si vous dites « quatre-vingts kilomètre PAR heure », sachez que vous parlez bien de la dérivée d’une distance par rapport au temps, c’est-à-dire d’une vitesse, d’un emploi beaucoup plus courant.

Jouez avec les unités… et bons vols

Phiippe Dejean
Modifié en dernier par Philippe Dejean le 01 oct. 2020 11:51, modifié 4 fois.
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cp1315
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par cp1315 »

Salut Philippe
Pour repondre à ta question, je dis "80 kilometres heure" par fainéantise ce qui pour moi veut bien dire que je parcours 80 kilometres en une heure si je reste à cette vitesse ;-)
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Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Bonjour Laurent,
cp1315 a écrit :Salut Philippe
Pour répondre à ta question, je dis "80 kilomètres heure" par fainéantise ce qui pour moi veut bien dire que je parcours 80 kilomètres en une heure si je reste à cette vitesse ;-)
Tu fais comme la plupart des français pour qui les "kilomètres à l'heure" se sont raccourcis en "kilomètres heure" par habitude, sans changer de sens.

Même si personne n'est vraiment dérouté pour la compréhension et l'usage de tous les jours, en toute rigueur, ça n'a justement pas le même sens, et il faudrait parler de "kilomètres par l'heure" (ce qui écorche les oreilles de certains) ou revenir aux vieux "kilomètres à l'heure"...

Ou sinon, il y aurais bien les mètres par secondes (m/s), incontestables unité de mesure de vitesse du système mksA...

Mais, en voyant qu'on est à 6 kilomètres du but en roulant à 20 m/s, ça ferait quand même bizarre de dire "J'arrive dans 300 secondes" plutôt que : "j'arrive dans 5 minutes"

Bons Vols

Philippe Dejean
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cp1315
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par cp1315 »

L'essentiel c'est de se faire comprendre ;-)
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Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Tu as raison, Laurent, l'essentiel est de se faire comprendre...

Mais le choix des unités n'est pas anodin :

Le 8 Juillet dernier, j'aurais pu souffler 19 bougies sur un gâteau pour fêter mes 1900 Ms.

Je vais essayer de ne pas rater l'échéance des 2 Gs ! :bounce:
(Ce sera le 9 septembre 2023, et je serai à la retraite ou presque) :TH

Bons vols

Philippe Dejean
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par cp1315 »

Y a un moment on va te prendre pour un fou, reviens parmis nous Philippe :lol:
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Re: Salade (indigeste) d'unités

Message par Philippe Dejean »

Quel rabat-joie !
Pour une fois que je pouvais envisager sérieusement d’être multi-milliardaire...
(En secondes, certes, mais quand même...)

Bons vols

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